La carte postale de reportage (14) : Les usines du Saut-du-Tarn

vendredi 1er avril 2022, par Dumont

LE SITE : LE SAUT DE SABO

A Saint-Juéry, à 6 km à l’Est d’Albi, la Rivière Tarn quitte les durs micaschistes du Massif Central pour rejoindre les terrains argileux tertiaires du Bassin Aquitain. A cet endroit, l’érosion a donné naissance à une chute naturelle de près de 20 m, qui fournit une force hydraulique considérable.
Dès le XIIème siècle, une chaussée est construite au Saut de Sabo, répartissant l’eau sur les 2 rives, et alimentant les nombreux moulins (à blé, à huile), foulons (à papier, à feutre), et martinets (à cuivre), qui s’y sont installés.

LES PREMIERS DEVELOPPEMENTS

Vers 1787, le Vicomte François-Gabriel de SOLAGES découvre une mine de fer près d’Alban (à environ 20 km de Saint-Juéry). Très rapidement, il installe au Saut de Sabo un fourneau catalan, qui pouvait fournir 150 kg de fer en 5 ou 6 heures. Mais la première réelle tentative d’implantation industrielle revient aux révolutionnaires : en 1793, l’ingénieur DODUN établit un rapport signalant les possibilités offertes par le Saut de Sabo pour la création d’une usine métallurgique : la force hydraulique sur place, le minerai à 20 km, et le charbon de bois (forêt de Sérénac) et de terre (Carmaux) à proximité.

Marie-Joseph GARRIGOU et Alexis MASSENET exploitent, en 1820, les forges du Bazacle à Toulouse, où l’on fabrique de l’acier, des faux et des limes. Ils demandent à la commune de leur louer les terrains situés au Saut de Sabo. Le conseil municipal accepte le 23 juin 1824, et cela sera confirmé par une ordonnance royale du 8 décembre 1824. En peu de temps, ils acquièrent la quasi-totalité des terrains et droits d’eau de la rive gauche du Tarn pour assurer la force motrice.

En mai 1832, Léon TALABOT se retrouve seul gérant de l’usine, et sa société « Léon TALABOT et Compagnie » devient propriétaire des établissements du Saut du Tarn. Il achète de nouveaux terrains et droits d’eau. Il développe les moyens de production en installant de nouveaux fours et deux trains de laminoirs, qui permettent d’entreprendre la fabrication des ressorts de voitures.

En janvier 1870, une nouvelle société, la « Société des Aciéries du Saut du Tarn » est créée. A cette époque, le Saut du Tarn emploie 350 ouvriers, et fabrique (par an) :
 200 000 faux et faucilles
 100 000 limes
 100 tonnes de ressorts de voitures.

Mais, si les affaires s’améliorent, des difficultés d’ordre interne apparaissent. Le 20 avril 1892, les ouvriers de l’usine se sont réunis pour former un syndicat, avec l’aide des mineurs déjà syndiqués de Carmaux. C’est l’époque des premières grèves ouvrières : grève des puddleurs en 1892, suivie d’une grève aux laminoirs et aux limes en 1893 et 1894.

A la fin du XIXème siècle, l’usine du Saut du Tarn a enfin atteint son objectif : elle est devenue productrice de matières premières, dégage suffisamment de bénéfices pour investir, et occupe l’une des premières place dans un secteur, la fabrication des limes.

L’ESSOR

Le début du XXème siècle est marqué par l’arrivée de l’électricité. Les travaux de modernisation se poursuivent. Eugène ESPINASSE y met en place la fabrication d’un nouveau type de faucheuses (un modèle américain « amélioré ») qui donne toute satisfaction. A partir de 1910, l’usine acquiert de nombreuses machines-outils modernes, qui apportent des résultats très positifs. En 1911, le Saut du Tarn emploie 1300 personnes. Le Saut du Tarn fournit, en 1914, 12,2 % de l’acier électrique du pays.

Pendant la Première Guerre Mondiale, les productions traditionnelles vont se trouver ralenties, et le Saut du Tarn, participant à l’effort de guerre, doit s’adapter à la fabrication d’obus en acier et en fonte. En 1917, 3455 ouvriers travaillent au Saut du Tarn. L’acier étant presque en totalité utilisé pour les productions de guerre.

A la fin de la Guerre, l’usine est réorganisée pour la « production de paix ». Le développement du programme hydroélectrique devient prioritaire, pour asseoir l’indépendance énergétique du site face au prix élevé du charbon. La crise industrielle de l’après-guerre touche quand même l’usine, dont l’effectif baisse de 30%. Cependant, la diversité des productions et la fidélité de la clientèle atténuent les effets de cette crise.

Mais la marche de l’entreprise reste chaotique, et, en 1926, à la suite d’une importante baisse des commandes, 20% de l’effectif total est licencié. La crise de 1929 va avoir des répercussions sur le Saut du Tarn dès les premiers mois de 1930. Les salaires diminuent, et en 1934, les effectifs passent sous la barre des 1500.

LE LENT DÉCLIN

A partir de 1936, l’entreprise subit le contrecoup des Accords de Matignon : adaptation des ateliers et des productions à la semaine de 40 heures, augmentation des salaires, hausse des taxes et impôts divers nécessaires à la mise en application des lois sociales.

Après la Seconde Guerre Mondiale, le Saut du Tarn s’oriente vers de nouvelles fabrications : les productions traditionnelles (outils, faux…) font place aux machines-outils (fraiseuse, aléseuses, perceuses…).

En 1947, la société prend le nom de « Société Anonyme des Forges et Aciéries du Saut du Tarn ».

A partir de 1959, une nouvelle production, les vannes à boisseaux sphériques, intensifie les activités, et devient rapidement une spécialité de l’usine. Les années 60 sont marquées par une détérioration de la santé financière de l’établissement et par une importante agitation syndicale, et de nombreuses grèves, qui atteignent leur paroxysme après les événements de Mai-68. En décembre 1968, la Société des Forges et Aciéries du Saut du Tarn est déclarée en état de règlement judiciaire. 1500 personnes sont licenciées.

Dans le but de maintenir l’emploi, et avec le soutien de l’État, la « Société Nouvelle du Saut du Tarn » est créée à la fin de l’année. Elle va réembaucher 1380 personnes. Le domaine qui connaît le plus fort développement est celui des vannes dans le secteur du gaz et du pétrole. A partir de 1971, l’essor de cette fabrication permet à l’entreprise de démarrer une période de prospérité, qui va durer jusqu’en 1976.

Malheureusement, à partir de 1976, les marchés vitaux dans le secteur des vannes ne sont pas reconduits. Dès lors, le Saut du Tarn retourne dans une phase de récession et malgré une nouvelle série de plans sociaux, la société reste déficitaire. La fin du Saut du Tarn est annoncée en mars 1983.

LE SAUT DU TARN AUJOURD’HUI

Après la fermeture du Saut du Tarn, 5 nouvelles entreprises ont vu le jour sur le site, dans les anciens ateliers, reprenant certaines activités comme la fabrication des limes et des outils, les activités de laminage, la maintenance industrielle et les secteur des vannes.

Enfin, en 1995, le Musée du Saut du Tarn a ouvert ses portes, sur l’initiative d’anciens employés regroupés en association depuis 1989. Installé dans l’ancienne centrale hydroélectrique n°1, il retrace les 160 ans de l’histoire du Saut du Tarn, et accueille environ 10 000 visiteurs par an.

*** GUY MALPHETTES ***

 Balade dans la série numérotée
 Balade dans la série des charrues
 Balade dans la série des cartes postales de la Société du Saut-du-Tarn
 Balade à la découverte des diverses cartes postales

Pour aller plus loin

 Wikipedia
 Musée du Saut-du-Tarn